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Mortalité de ruches par dépeuplement, demande d'aide d'urgence
Messieurs les Ministres de l’Agriculture et de la Transition Écologique et Solidaire,
Apiculteur depuis quarante-huit ans, co-fondateur d’Apiculteurs sans Frontières et trésorier de l’association depuis vingt-cinq ans, ancien coordinateur départemental de la santé apicole dans le département de l’Isère, ancien vice-président du Groupement de Défense Sanitaire Apicole de l’Isère, membre du Syndicat Apicole Dauphinois, j’étais un apiculteur connu et reconnu. J’ai été le premier apiculteur (avec un ami apiculteur professionnel) à constater un phénomène nouveau dans les ruches en juillet 1981...ce qui allait s’avérer être l’APV (Acute Paralysis Virus) diagnostiqué en 1982. J’ai été le premier à soupçonner un début de résistance des varroas à nos traitements au Congrès de la FNOSAD à Bordeaux en 1992, ce que les chercheurs du CNEVA de Sophia Antipolis confirmeront en 1996 au Congrès Apimondia de Lausanne (CH). Or, aujourd’hui, j’ai perdu 90% de mon cheptel et les 10% restants sont constitués de ruches comportant quelques centaines d’abeilles...alors que la normalité voudrait qu’il y ait quelques dizaine de milliers d’insectes.
Le préjudice financier est considérable. Je n’ai pas pu honorer mon contrat de pollinisation sur colza. Ma production de l’année va être quasiment nulle. Peut-être 200kg de miel au lieu des 8 à 10 tonnes habituels. Toutes les ruches mortes avec des quantités impressionnantes de miel (des ruches affichent plus de 45kg de miel à la sortie de l’hiver sur la bascule ??? des ruches avec des abeilles vivantes à ce jour qui ne travaillent pas, comme droguées, endormies. En 48 ans, je n’ai jamais vu cela. Où sont mes abeilles qui travaillaient jour et nuit ?
Je ne parle même pas du préjudice moral. La preuve, je ne prends la plume que maintenant, soit plus de deux mois après l’effondrement qui a suivi ce constat. Vous travaillez toute votre vie pour préparer votre retraite, et à la veille de celle-ci vous perdez tout. Car vous payez une assurance qui ne couvre pas cette sorte de sinistre. Non seulement, j’ai perdu mon outil de travail, non seulement j’ai perdu mes abeilles, mais il faut continuer d’assurer les ruches mortes. Vous avez plus de 1400 cadres contenant du miel contaminé que vous ne pouvez pas vendre –bien sûr – mais pas donner aux abeilles sous peine de les intoxiquer. Ce n’est pas la double, mais la triple peine.
L’enquête
Ayant contacté un technicien spécialiste apicole du GDSA Isère, en la personne de Monsieur Gilbert ROBERT que je ne connaissais pas avant mon appel téléphonique. Nous avons pu, ensemble, éliminer bon nombre des hypothèses envisagées. Ainsi a été écarté : la conduite du rucher, le produit de nourrissement, l’efficacité des traitements contre le Varroa ainsi que tout type de maladies. Il ne reste que l’environnement des ruchers. C’est ainsi que nous avons contactés différents apiculteurs amateurs, voisins de mes ruchers incriminés. Tous ont perdus entre 60% et 100% de leur cheptel. Concernant les principales cultures environnantes, nous avons 42 hectares d’orge en 2017 suivi d’un engrais vert (sorgho, tournesol et moutarde). Notons qu’il est difficile de trouver des semences d’orge qui ne soit pas enrobées par un nicotinoïde.
On veut nous faire croire que l’Agriculture n’est pas en cause, dans ce type de mortalité. Il est quand même curieux de constater que les ruches en ville ne sont pas impactées par ce type de mortalité !!!
Travail avec les services de l’Etat
J’ai donc alerté la DDPP de l’Isère et la visite a eu lieu le jeudi 29 mars durant l’après-midi avec le Vétérinaire technicien. Ce dernier a confirmé le diagnostic effectué par l’ensemble des membres présents, à savoir une intoxication en fin d’automne. Nous avons effectué des prélèvements de pain d’abeilles pour analyse. Deux mois après, je suis toujours en attente de résultats.
Une catastrophe écologique, un écosystème détruit
Je ne peux que constater la forte diminution des ruches dans le secteur, mais aussi l’effondrement des populations des autres insectes pollinisateurs. Bourdons, osmies, andrènes, papillons se font de plus en plus rares. Les oiseaux, moineaux, mésanges, chardonnerets ne sont encore présents qu’auprès des personnes qui les nourrissent tout l’hiver. Une population moins affaiblie des oiseaux nous aurait probablement épargné une catastrophe écologique comme la prolifération de la pyrale du buis qui a conduit en deux ans à la disparition complète de cet arbuste dans notre région.
Mes certitudes confirmées par le TSA et le technicien vétérinaire de la DDPP38
Le problème ne peut être lié à la compétence de l’apiculteur. Les ruches ne sont pas mortes car malades.
Les ruches ne sont pas mortes car parasitées trop fortement par varroas. Les ruches ne sont pas mortes de faim.
Le 28 octobre2017, toutes les ruches sont bondées d’abeilles à la date de mise en hivernage. L’été a été sec. Les mois de septembre et d’octobre ont été sec et particulièrement chauds. Mes ruchers ont tous été à proximité (moins de 2km) d’une parcelle d’orge d’une quarantaine d’hectares. Derrière cette culture, l’agriculteur a semé un engrais vert constitué de sorgho, tournesol, moutarde, etc.
Les raisons, les origines
La seule hypothèse qui reste, la semence d’orge était enrobée par un nicotinoïde –type gaucho- et le 12 novembre, nous avons eu le département Isère mis en alerte orange pour le vent et de grosses pluies par Météo France. Cette pluie a lavé le sol provoquant une remontée de l’imidaclopride dans cette eau...qui reste en surface. Puisqu’avec l’emploi de pesticides à outrance, on a tué tous les lombrics et comme on ne laboure plus, l’eau ne pénètre plus dans le sol mais courre remplir les rivières...provoquant des crues. Vous allez voir qu’on ne va pas tarder à faire payer une taxe au contribuable pour lutter contre les crues à répétition qui ne sont pourtant qu’une des conséquences des mauvaises pratiques agricoles.
En effet, si on prend cette hypothèse comme vrai. (Semence d’orge traité gaucho) et intoxication des butineuses à partir du 12 novembre. On connait les effets du gaucho sur les abeilles, toutes les butineuses ont été incapables de retrouver leurs ruches provoquant une dépopulation très rapide à un moment où l’apiculteur fout une paix royale à ses abeilles qui l’ont bien méritée. Cet effondrement de la population explique la faible consommation des réserves hivernales et donc le poids des ruches à la sortie de l’hiver. Ceci explique aussi pourquoi, les amateurs semblent moins touchés que les pluri-actifs et les professionnels qui, par l’élevage des reines –voir l’insémination instrumentale de ces dernières – sélectionnent sur le flair et l’instinct d’amassage. Ce sont les meilleures ruches qui ont été impactées.
Pour moi, le coupable est tout désigné. C’est les néonicotinoides. Car vous ne me ferez pas croire que ce genre de molécule, mis dans la terre avec une semence d’orge disparait comme par enchantement une fois la culture terminée. D’ailleurs, ne parle-t-on pas de 15 ans pour éliminer 50% de ces molécules dans la Terre. Certes, des nicotinoïdes ont été interdits en France...mais uniquement sur les plantes mellifères. On garantit donc l’existence de ces molécules dans le sol français vita éternam puisqu’une culture non mellifère pourra légalement « réapprovisionner « le sol de cette molécule ????
Cerise sur le Gâteau ? Ce même terrain vendu à un producteur bio et l’organisme ECOCERT vous estampillera une production BIO dans trois ans. Possible ? Non, certain. Encore une fois, on nous ment.
Je ne suis pas un cas isolé. C’est des constatations similaires par centaines de collègues en Dordogne, en Bretagne, en Picardie, bref, aux quatre coins de notre belle France ou plutôt de ce qui en reste.
Vu à la télévision
Dans le dernier complément d’enquête d’Elise LUCET sur France 2, il a été question d’analyser des cheveux de deux parisiennes. Ces analyses ont été effectuées par un toxicologue luxembourgeois et nous y retrouvons pas chez les abeilles, mais chez l’homme, absolument toutes les molécules que les apiculteurs combattent déjà depuis vingt ans. Ceci confirme mes craintes énoncées plus haut. Même le Lindane interdit d’utilisation en France depuis 19 ans est présent dans le cheveu humain. Nous avons donc la preuve qye l’Agriculture qui est censée nous nourrir, nous empoisonne à petit feu avec la bénédiction des hommes politiques qui nous gouvernent.
Crise de confiance
L’apiculture fait partie de l’agriculture. Laquelle ? Celle qui tue nos bêtes et nous ignore ?
L’apiculture n’est assurée que par GROUPAMA. En cas de sinistre, GROUPAMA assure à la fois l’apiculteur (la victime) et l’agriculteur (l’exécutant de l’épandage) et comme GROUPAMA ne va pas se battre contre lui-même, je vous laisse deviner quel choix, ils vont faire !!! Dans l’hypothèse où l’apiculteur a les reins suffisamment solides pour ester en justice, pourquoi le vendeur de ces produits toxiques pour l’homme et l’abeille, n’est-il jamais inquiété ?
Logique où es-tu ?
On veut nous faire croire que l’agriculture est là pour nourrir la planète. L’utilisation de tous ces pesticides permet d’accroitre le rendement de 10 à 20%. Or pour gagner cette augmentation, on nous tue les abeilles qui sont à elles seules responsables de 71% de notre nourriture ? Le gain de productivité pour quelques-uns se transforme petit à petit, au même rythme que le déclin des abeilles, en perte alimentaire pour la société.
De la même façon, il est impossible de faire de l’agriculture sans utilisation du « Round-up ». Cet agent orange pulvérisé par millions de litre durant la guerre du Vietnam par l’armée américaine, c’était pour rendre les vietnamiens en meilleure santé ? Pourquoi le Vietnam est-il encore aujourd’hui le pays au monde où il y a le plus de malformation chez le fœtus humain. La France emboîte le pas, mais cette augmentation passe inaperçue car on parle plutôt d’avortement thérapeutique...c’est mieux que malformation de fœtus.
Mes espoirs
Arrêtons une bonne fois pour toutes ces pratiques agricoles douteuses : plantation sans labour, désherbage sélectif sur pissenlit car 4cm2 de foin en moins, enrobage des semences par néonicotinoides (quelque fois avec une simple bétonnière garantissant un enrobage précis), désherbant chimique (glyphosate), fauchage des foins avant la sortie des fleurs, etc... .
Arrêtons de toujours reporter les vraies décisions. Stop aux dérogations en tout genre.
Laissons faire la chaine alimentaire. Réintroduisons le lombric, la coccinelle contre les pucerons car enfin, les insectes comme les oiseaux, ont aussi le droit de vivre.
Que l’homme politique exerce enfin son rôle de politique...avant l’apparition des problèmes de reproduction de l’humain qui seront très vite irréversibles. Cela fait vingt ans que le corps médical essaie d’alerter le Ministère de la Santé avec le même succès que nous, apiculteurs, obtenons pour l’arrêt des pesticides. Les perturbateurs endocriniens ne le sont pas que pour les autres. Ils le sont pour l’homme aussi.
Une demande
Que l’apiculture soit enfin reconnue d’utilité publique. Est-il normal que ce soit les apiculteurs qui assument, seuls, depuis 1982 la survie des abeilles sachant que la production de miel ne représente que moins de 8% de la valeur ajoutée produite au sein de l’agriculture française ?
Est-il normal que l’apiculteur soit la seule profession qui ne puisse pas s’assurer pour la destruction de son outil de travail ?
Est-il normal que l’on puisse anéantir une vie de travail (48 ans et 3 jours de vacances) sans qu’il n’y ait aucune responsabilité de rechercher ?
Est-il normal que l’état des pulvérisateurs chez les paysans ne soit pas contrôlé, au mépris de la loi qui devait entrer en application au 1er janvier 2009 ?
Est-il normal que l’on fasse autant de zèle sur les contrôles des véhicules automobiles et que l’on soit aussi laxiste sur l’application (le mot pulvérisation me gêne quand je vois le nombre de pulvérisateur qui sont de simple jet) de produits toxiques pour la santé humaine ?
Est-il normal que ces produits chimiques comportent la mention abeille quand dans le même temps, des documents signés par la DGAL reconnait que la mention « abeille » n’est pas une garantie de non toxicité pour cette dernière?
Est-il normal que l’apiculteur soit le seul métier où il délocalise ses ruches dans le seul but de les maintenir en vie (en principe, la délocalisation engendre des frais qui sont couverts par des recettes) . Ici, ce qui nous préoccupe, c’est le maintien en vie du cheptel uniquement !!! L’apiculteur travaille et fait des frais sans aucune contrepartie autre que le souci de garder ses abeilles en vie. Tout cela avec un gazole surtaxé.
Est-il normal que l’apiculteur ne puisse pas savoir où sont les cultures OGM, l’empêchant ainsi d’assurer la traçabilité de son pollen ? Depuis l’apparition des OGM, je me prive des revenus de la vente du pollen. Je n’aime pas jouer à la « roulette russe » avec la santé de mes clients !!!
Une recrudescence des vols de ruches
Dans le département de l’Isère, il y a une recrudescence de vol de ruches. Des ruchers de plus de 100 ruches se volatilisent. Ceci explique peut-être pourquoi, chez certains, il n’y a pas de pertes. Car voler 100 ruches en une nuit, ne peut être l’œuvre que d’ « apiculteurs » aguerris.
J’ai été victime en 2017 d’un vol de 32 ruches et de 64 hausses remplies de miel. Ceci plombe grandement la trésorerie. Le comptable a estimé la perte à 42 000 € indépendamment des 7 000€ touché de l’assurance. L’année suivante, on vous empoisonne la quasi-totalité de votre cheptel. Tout va bien dans le meilleur des mondes ?
Une profession abandonnée par le politique depuis les années 80
L’apiculteur a dû faire face, seul à :
L’apparition de la Varroatose (parasite importée de Russie par les chercheurs allemands)
1. Les nouvelles viroses (type APV)
2. Les pesticides
3. Les néonicotinoïdes
4. L’épandage aérien de phytos pour lutter contre la Chrysomèle ordonné par les préfets. Quand les apiculteurs sont prévenus, ils ont moins de 96 h00 pour déménager toutes leurs ruches. Pour aller où ? C’est quasiment mission impossible pour les apiculteurs autorisés à quitter leur département (apiculteurs granshumants). Pour les autres, il faut « subir », avec toutes les conséquences que l’on connaît.
5. Le frelon asiatique (aucune prise en compte par les Services de l’Etat depuis des années)
6.Les vols de ruches et de récoltes
7. Maintenant, c’est athenia tumida qui est en point de mire.
Plusieurs alertes cette année 2018, émanent des différentes DDPP du territoire.
Dans le même temps, si vous prenez le temps de comparer les différents audits de la filière Miel, on s’aperçoit que si les problèmes ont été multipliés par 8, les récoltes ont été divisées par deux, voire trois.
Une indemnisation ?
GROUPAMA n’assure plus les intoxications. Je ne serai donc pas indemnisé.
Cette année la perte de 140 colonies me laisse prévoir –comptablement parlant – une perte sèche de l’ordre de 77 000€ minimum. Je ne parle pas de la difficulté à remplacer mes cires de qualité qui sont malheureusement aujourd’hui introuvables dans le commerce, quelle que soit le prix que l’on veuille mettre.
Je ne parle pas non plus du surcroit de travail pour repeupler une partie des ruches tout en étant certain qu’il n’y aura pas de miel pour mes clients. Je suis beaucoup moins certain de ne pas revivre cette mauvaise expérience l’année prochaine. Pessimiste ? Non réaliste.
Qui va nourrir mes 4 enfants Messieurs les ministres ?
Mon devoir de citoyen est d’alerter l’opinion publique
En tant que trésorier d’apiculteurs sans frontières, il y a de plus en plus de personnes qui adhèrent car « elles veulent faire quelque chose pour les abeilles...puisque les politiques ne font rien ». « Je veux sensibiliser mes enfants à l’impérative nécessité de préserver l’abeille ». « Pourquoi ne fait on rien pour aider les abeilles ? ». Voilà les trois remarques les plus avancées lors d’une nouvelle adhésion.
Il n’est pas rare de discuter plus d’une heure avec un nouvel adhérent. Et la progression des adhérents est de 100% depuis plus de trois ans. Nous avons le soutien de plus en plus de personnes. Ça gronde en bas Messieurs les Ministres.
En conclusion, je ne sais pas si, pour une fois, et devant l’urgence de la situation, je serai indemnisé. Mais, je pense que je ne serai pas le seul à me plaindre du traitement que l’on inflige à un insecte qui est responsable de 71% de notre nourriture. Et cela en toute impunité.
Je ne connais pas les décisions que vous allez prendre, mais une chose est sûre. Vous ne pourrez plus jamais dire que vous ne saviez pas. Bien évidemment, je me tiens à votre entière disposition pour vous apporter tous les éléments nécessaires que vous jugeriez utiles d’approfondir. Vous aurez compris, qu’ayant tout perdu, je n’ai plus rien à perdre. Je suis dans la position de l’ouvrier qui a cotisé toute sa vie pour sa retraite et qui au moment de toucher au but, sait qu’il n’aura rien. Un grand merci à votre Agriculture et un grand pas vers la Biodiversité avec la perte programmée de notre meilleur allié dans la pollinisation de nos fruits et légumes. En Chine, il existe des régions où l’abeille a disparue obligeant les arboriculteurs à polliniser leurs arbres avec un plume d’oie. Le meilleur d’entre eux arrive à faire 16 arbres en une journée de 18 heures de travail. Une seule colonie d’abeilles aurait fait se travail mieux -sans offenser le travail de cet arboriculteur- sur 100 fois plus d’arbres.
Permettez-moi, Messieurs les Ministres d’avoir une pensée pour les apiculteurs professionnels, que j’ai heureusement refusé d’enseigner au CFPPA de Hyères en 1991, et qui se retrouve aujourd’hui, dans la même situation que moi, mais avec des crédits bancaires en plus. Quel choix leur donnerez-vous ? L’avenir le dira. Mais sachez que vu l’extrême gravité de la situation, vous ne pouvez leur laisser que le choix entre la vie ou la mort.
Toute une profession n’attend que des décisions rapides qui nécessitent courage et détermination de la part du politique.
Pierre VERNET, apiculteur sans frontière