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INTERVIEW ÉVREUX. LA DÉVIATION PREND DU RETARD
Interview Évreux. La déviation prend du retard
Dans les cartons depuis les années 1970, la déviation sud-ouest d'Évreux peine à voir le bout du tunnel, entre recours administratifs et blâmes de l'Autorité environnementale.
Actu : En tant que présidente de l'association Évreux Nature Environnement, comment réagissez-vous aux conclusions de l'Autorité environnementale qui invite la Dreal à réviser sa copie ?
Danielle Biron : À la lecture des attendus, j'ai ressenti une certaine forme de reconnaissance. Les arguments avancés sont ceux que l'association développe depuis de très longues années. De les voir rédigés noir sur blanc, qui plus est par l'Autorité départementale, crédibilise notre combat.
Justement, on a l'impression d'un combat sans fin !
DB : Sans réécrire l'histoire, je rappellerai simplement que la problématique remonte à... l'année 1975. Cette date correspond à la décision de réaliser une 2x2 voies entre Paris et Caen, et au déclassement des routes nationales.
Ce qui signifie ?
DB : Par la suite, M. Debré a pris appui sur le déclassement de la RN13. Mais il a agi en sortie d'Évreux, et non à l'entrée alors que le bon sens, pratique et financier, commandait de faire l'inverse. Car si le tronçon ébroïcien était passé dans le giron local, jamais les collectivités n'auraient pu supporter le coût d'une déviation. C'est du moins le sentiment qui prévaut au sein des associations attachées à la préservation de la biodiversité. Malheureusement, aujourd'hui encore, on traîne comme un boulet ce petit bout de chantier d'État, une portion de 7,3 km entre Cambolle et Les Fayaux.
Dans son rapport, l'Autorité environnementale pointe du doigt la surestimation du trafic, une saignée profonde en forêt d'Évreux et l'impact sur les ressources en eau.
DB : Soyons bien d'accord, il s'agit d'un avis consultatif. Mais il légitime le recours qu'Évreux Nature Environnement avait déposé auprès de la cour administrative d'appel de Douai. D'ailleurs, notre recours s'appuyait sur le fait que l'Autorité environnementale n'avait pas été sollicitée. Car depuis longtemps, nous alertions les décideurs et l'opinion publique sur les dangers de cette trouée au coeur du massif forestier, avec des dommages considérables pour la faune et la flore.
Pourtant, l'étude d'impact avait vocation à mesurer tous les dommages collatéraux !
DB : Malheureusement, son antériorité la rend caduque. En effet, elle date de 1998 et elle ne prend pas en compte toutes les composantes du projet. Elle aurait mérité d'être réactualisée sur certains points, avec une analyse complète du contexte actuel. Au lieu de cela, elle a été saucissonnée. Comme si on pouvait saucissonner un organisme humain !
Idem pour le trafic ?
DB : Dans le dossier constitué en 1998, les techniciens misaient sur un flux de 56 000 véhicules/jour à l'horizon 2010. Mais avec le recul, on s'aperçoit combien ces calculs étaient erronés. Aujourd'hui, en effet, on constate que les flux stagnent, voire régressent avec 10 000 à 12 000 usagers empruntant, quotidiennement, la RN13.
Encore une fois, Évreux Nature Environnement avait tiré le signal d'alarme.
DB : À l'époque, déjà, on déplorait des estimations faussées. La preuve : le commissaire-enquêteur avait tenu compte de nos observations, et rectifié les calculs. Il n'empêche : comment s'entêter sur une 2x2 voies pour 10 000 véhicules ? C'est n'importe quoi dans la mesure où ce type de projet est, en règle générale, conçu pour 70 000 automobiles.
Ce décalage estimatif, on le retrouve, aussi, au niveau de l'eau.
DB : Membre de l'association et alors maire-adjoint de Rolland Plaisance, Jacques Caron avait effectué un tour de France pour nourrir nos arguments, en mesurant l'intérêt de préserver les ressources en eau. Encore une fois, on avait fait le maximum... mais nos réflexions n'avaient pas été prises en compte. Aujourd'hui, à la lecture de l'avis de l'Autorité environnementale, on constate qu'Évreux Nature Environnement était dans les clous bien avant l'heure. J'oserais dire qu'on a eu raison avant les autres.
Au vu de ce nouveau rebondissement, doit-on supposer un nouveau calendrier ?
DB : La prochaine étape concerne l'enquête publique, celle inhérente à la loi sur l'eau. En principe, elle devrait se dérouler lors du premier trimestre 2021, en espérant que l'avis de l'Autorité environnementale soit pris en considération. Sinon, ce n'est pas la peine de promulguer des lois et ça signifie que l'État pourrait continuer à s'entêter malgré la pollution de l'eau. Le Plan Climat va, également, être soumis à la consultation.
Avec quelle ambition ?
DB : Si on ne corrige pas le projet d'une 2x2 voies à 110 km/h - susceptible de drainer un grand nombre de camions -, on sera hors des clous par rapport au Plan Climat.
Vous préconisez une limitation de vitesse ?
DB : Une déviation à 90 km/h, voire 70 km/h, c'est impensable et très peu cohérent. Mais pour être honnête, je dirais que notre priorité va à la protection de l'eau, la biodiversité, les couloirs écologiques. Par contre, en regard de tous les ajustements nécessaires, le chantier risque de rester en l'état un bon moment.
Des ajustements qui détermineront la nature de l'enquête publique !
DB : Si les griefs soulevés par l'Autorité environnementale ne sont pas corrigés, c'est sûr qu'ils vont ressortir lors de la consultation publique. Donc, raison supplémentaire pour faire preuve de vigilance tout en soulignant quelques évolutions de taille.
Lesquelles ?
DB : Longtemps, les services de l'État ont fait figure de maître d'ouvrage et de responsables de la police de l'eau. Donc, ils étaient à la fois juge et partie. Depuis, on a mis un terme à ces mauvaises pratiques. On les a abandonnées, c'est une source de progrès...
(*) Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement.