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LOBBYING : ASSOCIATIONS ET ENTREPRISES NE SONT PAS LES DEUX FACES D’UNE MÊME PIÈCE
VoxPublic signe une tribune dans Libération avec 17 associations nationales pour souligner la différence entre le travail de plaidoyer mené par les associations, qui défendent des causes sociales, environnementale et les droits humains, donc d’intérêt général et le bien commun, et le lobbying des entreprises et des groupes d’intérêts privés.
Un lobby ouvre une porte, un ministre la claque ! La démission de Nicolas Hulot a remis en lumière le rôle des lobbys du secteur privé qui mènent un travail aussi discret qu’acharné pour que les politiques publiques épousent les intérêts de telle ou telle entreprise, profession ou corporation. Ce débat revient régulièrement dans l’actualité et, comme à chaque fois, une partie de la classe politique feint de découvrir leur influence et leur régulation inadéquate. La loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique – dite Sapin 2 – de 2016 devait commencer à changer la donne. Malheureusement, après les pressions de lobbys, les décrets ministériels d’application discrètement pris en mai 2017 l’ont vidée de son sens. La Haute Autorité de la transparence de la vie publique (HATVP), qui doit jouer le rôle de vigie des représentants d’intérêts, regrette elle-même un dispositif aux « exigences extrêmement réduites ». Les moyens réglementaires, financiers et humains d’une véritable politique de contrôle et de sanction des pratiques abusives d’influence ne sont toujours pas réunis en France.
Porte close
Des ministres n’ont pas hésité à amalgamer le travail des représentants d’intérêts privés avec celui des associations ou collectifs citoyens. Chercher à banaliser l’influence des lobbys en arguant que les associations, elles aussi, sont régulièrement reçues par les conseillers ministériels ou les parlementaires est un grossier mensonge ! La réalité est bien différente. Les fédérations patronales, les entreprises, les cabinets privés de lobbying – pour ceux qui ont les moyens et les réseaux personnels – ont un accès privilégié aux cercles de pouvoir que les associations n’ont pas. De plus, l’influence ne doit pas être réduite aux rencontres discrètes avec les décideurs : interventions d’avocats d’affaires, pantouflage vers le secteur privé, financement de think tank et de chercheurs, font partie de la panoplie du lobbying économique… L’influence de ces représentants d’intérêts privés – pratiquant régulièrement le chantage à l’emploi – est effectivement considérable et s’exerce en toute opacité jusqu’au sommet de l’Etat.
Les associations qui défendent des causes sociales ou environnementales, donc d’intérêt général et d’utilité publique, doivent quant à elles se battre pour être entendues, trouvent trop souvent porte close auprès des institutions publiques et disposent de moyens financiers et humains sans commune mesure avec ceux des lobbys privés. L’actualité regorge d’exemples de ce déséquilibre : sur proposition du gouvernement, la loi Elan, qui doit être prochainement adoptée, prévoit d’abaisser de 100% à 10% la proportion de logements neufs accessibles aux personnes à mobilité réduite. Les intérêts du lobby de l’immobilier ont été plus forts, et les droits des personnes handicapées ont régressé malgré l’activisme déterminé et argumenté de dizaines d’associations représentant les personnes concernées.
Transparence
Autre différence de taille : les associations ne cachent pas leur travail d’influence auprès des décideurs, un travail dont elles sont fières car elles estiment se battre pour des causes justes. Le plaidoyer des associations est transparent, les idées et recommandations qu’elles défendent sont publiques, les documents qu’elles remettent aux décideurs sont accessibles à toutes les parties et contribuent au débat. Du côté des lobbys économiques, les objectifs sont confidentiels, les démarches se veulent discrètes, les documents remis ne sont pas accessibles, les expertises invérifiables. Nous avons certes les mêmes cibles, les élu·e·s de la nation, la présidence de la République et le gouvernement, mais nous ne pratiquons définitivement pas la même activité !
Les propositions concrètes pour améliorer la transparence des pratiques d’influence ne manquent pas. C’est la volonté politique qui fait défaut. En France, un parlementaire ou un conseiller ministériel ne devrait pas recevoir un représentant d’intérêt s’il n’est pas inscrit au « répertoire des représentants d’intérêts » tenu par la HATVP. Les démarches de lobbying devraient être rendues publiques dans des délais courts, par exemple avant l’adoption d’une nouvelle loi, pour savoir qui rencontre qui et dans quel but. La mise en ligne des documents transmis lors d’un rendez-vous avec un lobbyiste devrait être la règle et permettrait d’assurer un rôle de vigilance citoyenne pour s’assurer de la véracité des éléments fournis aux décideurs. Pour en finir avec le lobbying des salons feutrés et des restaurants étoilés, il devrait être interdit pour un.e élu.e de rencontrer des lobbyistes en dehors du cadre institutionnel sous peine de sanction pour les deux parties, comme c’est le cas au Canada par exemple. Cela passe enfin par l’encadrement strict des « portes-tournantes » et du pantouflage, ces carrières entre le privé et le public, qui favorisent la confusion des rôles et les conflits d’intérêts.
Vouloir délégitimer le rôle de contre-pouvoir citoyen des associations en les assimilant à des défenseurs d’intérêts privés, est un jeu dangereux pour la démocratie. La qualité d’une démocratie se mesure à la capacité de l’Etat et des élu·e·s d’écouter les voix moins puissantes que celles des intérêts dominants. La raison du plus fort ou du plus riche est, en fait, rarement la meilleure.
Signataires
VoxPublic, Jean-Marie Fardeau, délégué national
Acat-France, Bernadette Forhan, présidente
ActionAid France – Peuples solidaires, Birthe Pedersen, présidente
Amis de la terre, Florent Compain, président
Alliance citoyenne, Adrien Roux, directeur
CCFD-Terre solidaire, Benoît Faucheux, délégué général
Collectif Ethique sur l’étiquette, Guillaume Duval, président
Emmaüs international, Nathalie Péré-Marzano, déléguée générale
France Nature Environnement, Michel Dubromel, président
Humanité et inclusion (nouveau nom de la Fédération handicap international), Manuel Patrouillard, directeur général
Greenpeace France, Jean-François Julliard, directeur général
Médecins du monde, Philippe de Botton, président
Observatoire international des prisons, Delphine Boesel, présidente
Oxfam France, Cécile Duflot, directrice générale
Résistance à l’agression publicitaire, Héloïse Chiron, présidente
Sciences citoyennes, Kevin Jean, président
Secours catholique, Véronique Fayet, présidente
Sherpa, Sandra Cossart, directrice